Dans l’atelier de…

Marguerite Marsais

Temps de lecture : 5 minutes

C’est dans sa boutique-atelier du 17ème arrondissement à Paris que Marguerite me reçoit. À l’endroit même où il y a 5 ans elle décidait de se lancer dans ce nouveau métier, après une carrière dans le marketing. « Je travaillais chez un fabricant de peintures, j’étais chef de produit et je m’occupais du lancement des nouveautés. Dans ce cadre, je faisais beaucoup d’applications pour des tests produits donc je manipulais tout le temps les matières et les couleurs. J’adorais cet aspect-là, très manuel. Puis le premier déclic a été la naissance de ma fille. À mon retour de congé maternité, la filiale dans laquelle je faisais ces démonstrations a fermé et je me suis retrouvée au siège, dans un open space. La nature de mon emploi avait changé et je ne m’y suis plus retrouvée. C’était une conjugaison de plein de choses : la maternité qui te ramène à l’essentiel dans la vie, la perte de la partie manuelle de mon travail et aussi une envie de transmettre. »

 

Une transmission que Marguerite envisage au sens le plus large : « Au début, c’était transmettre à mes enfants, qu’ils voient ce que je fais, qu’ils comprennent mon métier. Et derrière mon bureau, je ne croyais plus à ce que je faisais donc ça n’avait plus de sens. Et puis quand j’ai débuté ma formation, dès que j’ai pris les outils, je me suis sentie à l’aise. J’étais en alternance ici, dans cet atelier, on me transmettait un savoir-faire, c’était un partage. Et ça a été ma chance parce que ça s’est bien passé et mon diplôme en poche, je suis restée. »

Une fois cette volonté de changer de voie assumée, comment en est-elle venue à choisir la tapisserie ? « Je connaissais déjà ce métier parce que mes parents avaient des meubles anciens et qu’il leur arrivait de faire appel à des artisans. Ça mêlait les matières que j’aime, le décor, les couleurs, le manuel. Quand je travaillais dans les peintures, les tendances suivaient celles du textile d’ameublement. Donc c’est par cette connaissance du textile que je me suis intéressée au métier de tapissier. Je me suis renseignée sur des forums, j’ai discuté avec des professionnels et finalement c’est devenu comme une évidence et je me suis lancée. »

 

Un nouveau métier qu’elle a rapidement apprivoisé : « Ça m’a plu immédiatement, donc je n’ai pas trouvé ça difficile. Mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si technique. Il y a une telle diversité de sièges qu’en une seule année de formation, tu ne vois rien. Tu vois la partie émergée de l’iceberg, un cabriolet, un fauteuil, un crapaud, tu vois quatre trucs alors que dans la vraie vie, ils sont tous différents. Les gestes sont très techniques et finalement ça finit par rentrer dans la main. Il y a une mémoire de la main. »

 

« Une des raisons de ma reconversion, c’est aussi que le travail manuel libère l’esprit. Moi je suis très concentrée quand je fais quelque chose. Mais en même temps j’écoute la radio, on discute dans l’atelier, on s’informe… je sens que j’ai l’esprit moins embrouillé que dans mon métier d’avant. »

Les mains justement occupées à refaire une garniture, Marguerite me parle de l’histoire, ancienne, de son métier et de ses évolutions : « La tapisserie c’est deux métiers. Le tapissier et la tapissière. C’était très genré mais aujourd’hui ça se confond. Le tapissier-garnisseur garnissait les sièges avec une garniture traditionnelle en crin ou contemporaine en mousse. Alors que la tapissière c’était plutôt la couture d’ameublement, les rideaux, les coussins. Nous on fait les deux et c’est de plus en plus le cas, en général. On est à la fois tapissier et tapissière ! C’est un métier qui était masculin parce que ça demande pas mal de force. En particulier le guindage, ce sont les cordes qui tiennent le ressort. Mais c’est une force qui s’acquiert et évidemment, une femme est tout à fait capable de le faire, contrairement à ce qu’on pensait à l’époque.

En revanche, techniquement, la tapisserie n’a pas beaucoup évolué. La dernière invention ça doit être le ressort au XIXème siècle ! Mais sinon ça reste des techniques qui ont fait leur preuve. Et cette dimension d’héritage me plait. C’est touchant de dégarnir un fauteuil qu’on va refaire. On voit les marques successives des tapissiers qui sont passés par là. Parfois elles sont très anciennes, donc c’est émouvant de toucher ce travail-là. Le plus ancien que j’ai travaillé, ce doit être du Louis XVI. Mais ce qui arrive dans l’atelier, c’est très varié, ça vient de toutes les époques. On ne peut pas vraiment dater le travail précédent puisque les techniques n’ont pas changé. Mais en fonction de l’usure on peut faire une estimation. Une bonne garniture ça doit durer 30 ou 40 ans. Et plus un tissu d’assise sera tendu, plus elle durera dans le temps. »

Un pied dans le passé, mais aussi un autre dans le présent puisque les architectes et les designers constituent une grande partie de la clientèle de Marguerite : « On a de nombreux projets contemporains, qui sont de la création pure, on va inventer des choses nouvelles. Ça va être des rideaux un peu dingues, des énormes tentures pour des restaurants ou encore de grandes banquettes avec des formes et des effets originaux. »

 

Pendant que nous discutons, campée sur son tabouret de tapissière, au ras du sol, Marguerite continue à s’affairer sur un fauteuil. « Sur un meuble comme ça, où je pars de zéro, il faut compter deux jours de travail. Je vais enlever la garniture et examiner la structure. Si je me rends compte que les assemblages sont décalés, je vais faire le recollage avec une colle spéciale à base de poisson. Si les montants sont cassés, là ce n’est plus de mon ressort et je l’envoie chez l’ébéniste. Ensuite, une fois qu’on a la structure vide, on refait tout : la garniture, la hauteur, jusqu’à la pose du tissu. A l’intérieur, je vais mettre les sangles, les ressorts, une toile forte, du crin, une couture sur le crin, puis une autre toile. Le dossier était très abîmé donc j’ai rebouché les trous avec de la sciure de bois mélangée à de la colle d’ébéniste. Ensuite je vais poncer et découper mon dossier extérieur que je recouvrirai avec le même tissu que l’assise.»

 

« Je préfère travailler à la semence (de petits clous) qu’à l’agrafe, qui est moins traditionnelle. Mais le choix est aussi dicté par l’état du meuble. Si le bois est abîmé, fragile, il peut ne pas supporter de nouvelles semences. L’outil principal du tapissier, c’est son marteau qu’on appelle le ramponneau. Il est aimanté donc c’est très pratique. Sinon il y a aussi un marteau spécial pour les clous de tapissier (ceux qui sont apparents à la fin, différents des semences), le pied de biche, ou encore le tire-sangle. La garniture que j’utilise est en crin de coco. Là, j’ai mis 1,5kg. Ça se tasse beaucoup ensuite. Je vais le carder (enlever les boules) ensuite je rabats et je fais le piquage. Pour l’assise, j’ajouterai de la ouate. L’étape du piquage, c’est là que tout ton travail se révèle parce que tu donnes la forme. Tu vois ce le résultat de ce que tu fais, c’est satisfaisant. On fait attention à respecter l’aspect du meuble, on suit le bois, le fût. La forme, elle est donnée par l’ébéniste. »

Ensuite, il est temps de passer au tissu : « D’abord je vais appointer, c’est à dire que je mets de petits clous que je n’enfonce pas complètement, parce que je vais les retirer au fur et à mesure. Ça va me permettre de tendre progressivement le tissu, en m’y prenant en plusieurs fois. On tend, on recommence, on tend, on recommence. Ça demande de la patience ! »

 

« Pour le choix du tissu, on ne peut pas mettre n’importe quel tissu sur n’importe quel meuble. Par exemple, une fine broderie ne conviendra pas pour une assise parce qu’elle s’abimera trop vite. Et sans être fermée d’esprit, il y a aussi du respect à avoir pour le style du meuble ! Notamment des proportions à respecter. Une petite chaise supportera mal un immense motif. Il faut que ce soit un bon mariage entre le motif du tissu et le travail du bois. Que l’un révèle l’autre, sans l’écraser.

 

Le conseil déco est une facette importante du métier. Souvent on se base sur des photos du lieu où ira le meuble. En discutant avec nos clients, on arrive aussi à cerner leur style, leurs préférences et aussi à déterminer s’ils veulent justement en changer ou rester dans les mêmes habitudes.

Quand j’arrive sur les angles, je coupe le tissu. Il ne faut pas se tromper : un mauvais coup de ciseau et c’est la fin ! On commande chaque fois juste la bonne quantité de tissu, donc tu n’as pas vraiment de seconde chance ! Mon formateur disait que le métier de tapissier, tu l’as vraiment appris en 10 ans. J’en suis à la moitié, il me reste encore pas mal de bêtises à faire j’imagine ! Maintenant, je vais mettre un galon, c’est un petit ruban, qui va faire le tour. Je le fixe avec de la colle de tapissier. Il faut le maintenir avec des houzeaux que tu retires une fois que c’est sec. Le galon se choisit avec le tissu, pour que ce soit assorti, évidemment. »

L’atelier de Marguerite est évidemment un lieu de travail, mais aussi un vrai lieu de vie. Parce qu’il est partagé par plusieurs artisans et parce que c’est une boutique ouverte sur le quartier. « J’aime bien qu’on travaille à plusieurs dans l’atelier. On se donne des idées, des conseils. Le regard de l’autre est important, même quand on ne travaille pas sur le même objet. Il y a de l’entraide, aussi sur la partie commerciale et la gestion administrative. Le quartier est super parce qu’il y a beaucoup de mixité. Il y a un peu tous les pouvoirs d’achat. Alors que certains métiers d’art ont une clientèle très élitiste, le nôtre est resté un métier d’artisanat, abordable. Nos clients ce sont des voisins du quartier, qui passent la porte de la boutique avec leur chaise sous la main. On est des commerçants, on vend aussi nos coussins, on a une vitrine, ça attire les gens qui passent. »

Découvrez son travail ici.

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